Conclusions de M. Dumoulin, avocat, sur un litige concernant une paissière construite sur le Gabas

Archive privée inédite

© Toute utilisation de cette transcription est soumise à autorisation

[La transcription peut comporter des erreurs]


Vû les pieces du Sr Pierre de Bonnehé Ecuyer contre le sr Cristophle Bourdeaux, directeur de la monoye de Toulouse, copie de la sentence de la maitrise des Eaux et forets de Guienne qui ordonne un transport et procés verbal sur le Ruisseau du Gabas et lieux contentieux plan figuratif des lieux, signifié de la part dudt Sr de Bonnehé, arrest du conseil d'Etat du 2 aoust 1745. qui declare la seigneurie et la justice haute moyenne et basse de la ville parroisse et territoire de st sever appartenir en parcage a sa Majesté et aux Abbé et Religieux Benedictins de lad ville de st sever a l'exclusion de tous autres.
Sur les doutes proposés de la part desd srs Abbé et Religieux Benedictins concernant la construction de la nouvelle paissière et Arboutans batis en pierre dans le Ruisseau du Gabas par le sr Bourdeaux.
Le Conseil sous signé estime que les srs Abbé et Religieux Benedictins de st sever ont un interêt suffisant pour intervenir au procés pendant en la maitrise particuliere des Eaux et forets de Guienne, entre les Srs de Bonnehé et Bourdeaux et pour demander de leur chef la demolition de la nouvelle paissiere construite en pierre par le sr Bourdeaux et le retablissement de l'ancienne paissiere en piquets et telle qu'elle existoit auparavant l'entreprise du sr Bourdeaux,
C'est un principe du droit françois que les petites Rivieres non navigables appartienent aux seigneurs dans les territoires desquels elle traverse, en sorte que les aboutissants ou Riverains ne peuvent rien entreprendre dans ces rivieres sans la permission des seigneurs haut justiciers, parcequ'elles font partie de leur patrimoine et de la seigneurie,
Cette doctrine est enseignée par M. le Grand sur la Cout. de Troye art. 179. n. 16 et 30., par Loisel dans ses institutes Coutumieres liv. 2. tit. 2. des seigneuries art. 6. et suivans jusqu'a l'art. 13. par henrys et Bretonier tom. Liv. 1. q. 36. et liv. 3. q. 34. par Mr Salvain trait. des fiefs chap. 60. Baquet Loiseau, Carondas et pleusieurs autres cités par lesd auteurs qui convienent aussi que lorsque le Ruisseau ou Riviere fait le partage des deux seigneuries elle est commune entre les deux seigneurs et leur appartient a chacun jusqu'au milieu de la Riviere, si l'un des deux seigneurs n'est pas en possession ancienne de la jurisdiction sur toute la Riviere de l'un et de l'autre Bord comme l'observe M. le Grand Loc cit. n. 32.
C'est un autre principe resultant de la disposition de L'ordon. des eaux et forets que les mêmes attributs appartenants a sa Majesté sur les Rivieres navigables et publiques, appartienent aussi aux seigneurs haut justiciers sur les Rivieres non navigables, et qui font partie de leur seigneurie, ce qui resulte des arti. 18. et 19. du tit. de la pêche et de l'art. 28. du tit des peines et amandes de la même ordonnance des Eaux et forets, ou il est dit que les amandes, confiscations, domages et interests qui sont statuées ou prononcées sur le fait des Eaux et forets de sa Majesté seront pareillement adjugées pour les Eaux et Bois appartenants aux Ecclesiastiques, communautés et particuliers, et seront executées de la même maniere, d'ou lon doit necessairement inferer que tout ce qui est reglé par cette ordonnance sur le fait des Rivieres appartenantes au Roy trouve son application aux Rivieres et Ruisseaux appartenants aux seigneurs haut justiciers.
Or par les art. 42. 43. et 44. du tit. 27. de la police et conservation des forets, Eaux et Rivieres, il est deffendu a toute personne de faire moulins, Batardeaux, Ecluses, murs, amas de pierres et autres edifices ou empechements nuisibles au cours de l'eau dans les Rivieres navigables, ny d'y faire aucune autre sorte d'ouvrage, sans la permission de sa Majesté, sous peine de demolition et amande, ce qui doit par consequent s'appliquer aux Rivieres et Ruisseaux appartenants aux seigneurs haut justiciers, et c'est en effet ce que dit Loisel loc. sup. cit. art. 13. en ces termes, nul ne peut batir colombier a pied, asseoir moulin ny bondes d'Etang sans le congé de son seigneur, si ce n'est pour son usage; c'est a dire dud seigneur, d'ou il faut aussi necessairement conclure que lorsque le moulin a été bati anciennement et que la concession des Eaux est presumée en avoir été faite par le seigneur haut justicier, le proprietaire du Moulin ne peut plus toucher a la forme en laquelle il se trouve en possession des Eaux, sans une nouvelle permission du seigneur ou des seigneurs interessés et a qui appartient la propriété des eaux, parce qu'il en est de cela, comme d'une servitude que le proprietaire d'Icelle ne peut point alterer, changer ny varier en aucune maniere, au prejudice du maitre du fonds servant, suivant la L. si cui simplici 9 au ff. de servitutib. La L. certo generi. 13 [paragraphe] si totus ager ff de servitutib. Rusticor. predior. La doctrine de mornac sur ces Loys du president faber tit. de servit. chap. 1. q. 12. de capola et autres auteurs qui ont traité des servitudes.
D'apres tous ces principes qui ne peuvent pas être Revoqués en doute, il est aisé de juger de l'interest que les srs Abbé et Religieux Benedictins de st sever, seigneurs haut justiciers de la moitié de la Riviere du Gabas et de tout le territoire qui est au nord de lad Riviere, doivent prendre dans la contestation d'entre les srs de Bonnehé et Bourdeaux. on voit par les Ecritures du sr de Bonnehé qu'il se plaint que l'ancienne paissiere en piquets etoit d'environ soixante dix toises de Longueur, au lieu que la nouvelle paissiere batie en pierre n'a que dix et sept toises de longueur et bouche entierement le Ruisseau du Gabas, du coté du terrain du sr Laborde, seigneurie de st sever, que par la nouvelle paissiere, les Eaux sont beaucoup plus resserrées, et qu'il en resulte des Refoulements d'eau plus frequens et plus considerables, surtout dans les tems d'inondation et des pluyes abondantes, qui submergent les possessions du sr de Bonnehé, et les ruinent, et qu'enfin aux deux Arboutans de la paissiere nouvelle il y a des chaussées qui ayant trop d'elevation empechent les eaux de s'ecouler, et ocasionent des debordements qui inondent et tiennent long tems sous les Eaux les possessions dudt sr de Bonnehé.
Il se Rencontre donc de la part du sr Bourdeaux non seulement une oeuvre nouvelle dans le Ruisseau du Gabas faite sans la permission du seigneur haut justicier, mais encore des domages considerables occasionés par cette entreprise au territoire feodal des srs proposans, ce qui leur est nuisible de deux manieres, premierement en ce qu'etant gros decimateurs de ce territoire, leur droit de decimation doit necessairement soufrir de la perte des fruits du sr de Bonnehé et des heritages adjacents; secondement en ce que des possessions submergées par les Eaux perdent necessairement de leur valeur, et tombant dans l'inculture diminuent les droits casuels et les Lots et ventes du seigneur feodal dans les mutations.
De sorte que l'on peut dire que les srs proposans ont un triple interêt au Retablissement de l'ancienne paissiere en bois ou piquets, soit en ce que le sr Bourdeaux n'a pû changer l'ancienne forme de sa possession et prendre les Eaux dans un gout tout different sans la permission des srs proposans, soit en ce qu'il aggrave leur patrimoine et leur condition par le domage qu'il leur cause des deux manieres.
Et comme Linterêt est la seule Regle des actions et des interventions, il n'est pas douteux que les srs proposans en ont un assès sensible pour intervenir dans l'instance dont s'agit, et prendre des conclusions de leur chef, contre le sr Bourdeaux, pour la demolition de la nouvelle paissiere et le Retablissement de l'ancienne, en la même forme qu'elle avoit auparavant, et ou elle avoit toujours été; Et l'on n'estime point que cette intervention puisse faire la matiere d'un probleme puisqu'elle se trouve appuyée sur des considerations aussi puissantes.

Du moulin avocat signé.

Deliberé à Bourdeaux
Le 11. janvier 1754.