Lettre de P. Bastiat adressée à M. Domenger fils cadet, à Mugron (40)

A Monsieur
Monsieur Domenger fils
Cadet
par Tartas
a Mugron

---

vos affaires sans doutte me privent, mon cher amy, du plaisir de recevoir de vos nouvelles, je serois bien faché que ce fut tout autre motif. je trouve ma satisfaction a croire qu'il n'y en a point d'autre. je me plains pourtant de ce que depuis quelque temps vos lettres sont rares, peu detaillées, & vous ne m'y donnés presque plus des nouvelles de Mugron. celles que j'ay à vous donner de Bayonne ne me flattent pas. l'Esprit militaire sempare des tetes des jeunes gens, de Dimanche en huit je fait la prestation du serment, & la benediction des Drapeaux, la jeunesse prie, sollicite, & exige que les Capitaines & officiers subalternes prennent l'uniforme, on projette de donner une fette aux troupes soldées. si vous aviés ocasion décrire à mon fils vous me feriés plaisir de toucher un peu cette Corde. il a la plus grande Confiance dans vos Conseils. cet Enfant vous aime réelement beaucoup, il n'y a pas de jour qu'il ne le repete. vous luy avés promis votre portrait il l'attend avec la plus grande impatience.
quant à nous nous sommes fort ocupés de notre situation future, l'on nous fait craindre la perte de notre franchise ce qui a ma maniere de voir sera un grand malheur pour la ville qui devra se fixer sur le Commerce national, & suivant moy il offre trés peu de ressources. j'ajoute meme que vous verrés beaucoup de maisons quitter & porter leurs Capitaux a St Ander Bilbao & st Sebastien, dans le temps que les Negts de ces deux dres villes formoient deja des Etablissements ici. Mrs Betbeder francine, & Moracin, y avoient deja formé maison, & sont prets à nous quitter avec la franchise, il faudra pourtant s'en separer si elle est contraire au bien général du Royaume.
il me semble, mon amy, vous avoir demandé deux ortolans vous me ferés plaisir de me les envoyer si vous avés pu vous les procurer. adieu, mon cher amy, je vous embrasse & suis tout à vous