Lettre adressée à Mme de Castarède, au château de Taillefer

Archive privée inédite
  • Date: 13/01/1851
  • Lieu: Bayonne (64)

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Basses Pyrénées.

Madame de Castarède
au Château de Taillefer
Près Pau.



Bayonne ce 13 Janvier.

Jusqu'à ce jour, ma bonne tante, vos lettres m'avaient laissé sous une pensée riante douce, pleine de charmes. celle que Je viens de lire me fait au contraire une peine réelle elle me laisse au Coeur ce vague sentiment de tristesse que l'on éprouve toujours lors qu'on sent avoir fait peine à quelqu'un que l'on aime. Je suis marri surtout de ce que vous semblez croire qu'il y a eu chez moi indifférence à ne pas aller vous embrasser à Taillefer, que c'est peu connaître votre neveu, chère tante! il est si heureux au contraire de toute occasion qui le rapproche de vous. l'impossible seul m'a retenu & me retient encore, mais, comme je vous le disais l'autre jour, je ne quitterai pas vos belles pyrénées sans vous avoir dit moi même tous mes regrets. Je donnerai aux chers habitans de Taillefer tout le temps dont je pourrai disposer & ne les quitterai, chère tante, qu'avec la Certitude qu'ils me conserveront un doux & tendre souvenir. on doit tout pardonner à ceux qui nous aiment!
Vous me demandez, chère tante, de longs détails & renseignemens sur la position nouvelle que je vais prendre. qu'elle est, me dîtes vous, l'amélioration que vous procurera ce changement de résidence? à cette question je dois répondre: je l'ignore, car, en effet, je ne sais ce que je poursuis. Je change de lieu parce que dans les premiers mois de mon séjour ici l'isolement, la solitude avaient envahi mon coeur. Je n'y vivais pas - J'y végétais. Toute mon existence etait ailleurs, j'avais donc hâte de quitter ce pays inhospitalier & de me rapprocher de mes regrets. c'est alors que je demandai au bon Général de quitter Bayonne. il aimait cette ville & je ne réussis pas. mais j'ai le malheur d'avoir une volonté assez prononcée. J'entrepris de le dégouter de ce pays & je le poursuivis tant & si bien qu'il se décida a [exprimer?] au ministre le désir de se rapprocher de paris. aucune brigade n'etait vacante alors, nous ne fumes pas changés. aujourdhui plusieurs sont devenues libres & on lui annonce que prochainement il sera déplacé. rien n'est encore fixé sur le lieu []. Je crois cependant que c'est en Normandie que nous planterons notre tente.
Vous concevrez à merveille que ce n'est pas sans un vif regret que je m'éloignerai de vous. J'aime Taillefer bien tendrement &, de près comme de loin, vous trouverez toujours en moi affection, reconnaissance & tendresse. vous êtes de ma famille du Coeur, chère tante, & celle là n'est pas nombreuse. Si j'avais eu plustôt le bonheur de vous voir j'eusse été moins pressant & n'eusse peut être pas abandonné Bayonne. aujourdhui il est trop tard & puis, on m'a appris à ne reculer jamais devant les conséquences d'une chose que j'avais désirée. Ensuite de cela, chère tante, pourquoi vous cacherais-je que ce paris que vous semblez redouter pour moi, je le trouve plein de charmes. S'il y a des troubles j'aimerais a y être. il est si beau en révolution! Je ne l'ai vu qu'une fois en Juin 49 & je regrettais vivement alors de n'avoir pu assister aux tristes journées de l'année précédente, & si, pour me servir de vos expressions, nous touchons à une crise qui renversera bien des projets des choses & des hommes. je serai heureux d'y prendre part. n'est ce pas mon rôle & mon devoir?
Voilà toute une lettre triste, chère tante, quand j'aurais du au contraire vous dire mille choses aimables & gaies. Je me suis laissé aller à l'impression que j'avais éprouvée en vous lisant; un autre jour en reprenant le fil de mes mémoires dans le petit fauteuil bleu, j'aurai je l'espère, le bonheur de retrouver une pointe de gaîté & d'amener encore le sourire sur vos lèvres.
Merci chère tante de votre à dieu, moi je vous dis à revoir & vous embrasse bien tendrement ainsi que tous les nôtres.
Mes souvenirs respectueux à Mr de C. & Mlle adèle.

Ermecinde est une vilaine enfant de ne pas me laisser faire les commissions. elle me prive d'un vrai plaisir. Enfin, il ne faut pas contrarier les enfans, mais je me réserve de la bien gronder à la prochaine occasion. Malheureusement je suis un oncle peu respecté, si j'etais seulement un peu affectionné j'en serais heureux.