Lettre de M. Lajard adressée à A. Lajard, à Bordeaux (33)

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Monsieur A. Lajard
Chez Madame Veuve Seignouret
rue Ausone 12
Bordeaux.



Aire 3 Mai 1859.

Mon bon ami, tu te plains de mon silence, et je ne puis m'en fâcher, car cela me prouve que tu prêtes quelque prix à l'intimité de nos rapports. Mais je crois que tu es un peu injuste, car nous n'avons pas, je crois, passé une semaine sans t'écrire; et quand c'est ta bonne mère qui tient la plume, c'est comme si j'écrivais moi-même; comme aussi lorsque je t'écris, je le fais pour nous deux. Nos sentiments pour toi sont les mêmes; ne distingue jamais entre nous. Que pourrais-je ajouter aux lettres de ta mère, lorsqu'elle a épuisé la chronique de notre pauvre pays ? te redire mon affection ? tu la connais; mon désir ardent de te voir heureux, et ma conviction qu'une profession honorable peut seule t'assurer le bonheur et l'indépendance ? je t'ai saturé de ce discours; et cependant si je croyais te convaincre en te le répétant encore, je le réciterais aujoud'huy, et demain, et toujours. En dehors de ces représentations amicales et paternelles que peut me suggérer, pour ton avenir, l'expérience de mon passé, ce que je trouverais à recolter de nouvelles intéressantes à t'apprendre est bien maigre et bien borné; mais toi, tu n'as pas cette excuse: tu peux nous parler de politique, d'affaires, de récoltes, de moeurs, de famille et de tant d'autres objets qui te passent journellement sous les yeux, que tu aurais à tout instant le sujet de nombreuses pages, si tu avais le temps de les remplir. N'attribue donc pas à indifférence, mais à manque de sujets, si je ne t'écris pas plus fréquemment; et de ton coté ne calcule pas sur mes lettres le nombre des tiennes - Ecris quand tes occupations te le permettront et quand l'idée te viendra de traiter avec nous un sujet intéressant. Nous ne nous plaindrons jamais de la multiplicité de tes lettres, et sois sûr qu'elles seront toujours lues avec plaisir et intérêt. Oui, mon ami, j'ai vu avec plaisir que tu vas prendre une inscription à la chambre des notaires, et avec plus de satisfaction encore que tu comprends que, quoiqu'il arrive, elle ne te sera pas inutile. Je souligne à mon tour ce membre de phrase, et je réponds ainsi à ta pensée. Crois-moi, cher enfant, profite de ton séjour à Bordeaux pour étudier les diverses carrières qui peuvent s'ouvrir devant toi. Tu es admirablement placé pour cela. Examine les avantages et les inconvénients de chacun, pour choisir plus tard - Mais en attendant que ton choix soit définitivement arrêté, fais ton stage, attache-toi à saisir l'esprit des affaires et des actes, car la forme, quoiqu'essentielle, est peu de chose; et cela ne te sera pas inutile plus tard. J'ai demandé un extrait de ton acte de naissance; mais comme il faut qu'il soit légalisé par le Président du Tribunal de St Sever, je ne puis te l'envoyer - Dès que je l'aurai je te le ferai parvenir -
Je t'envoie sous ce pli un Billet de Banque de 100 f que j'ai pu me procurer. Je calcule qu'un paletot de drap léger te coutera à peu près 50 f, un pantalon de laine douce, une vingtaine de f - Avec ce que je t'envoie tu peux parer au plus pressé. Si tu as de nouveaux besoins tu me le diras -
Les peaux ne sont pas encore arrivées, et je crains qu'il n'en soit de ce pacquet comme de l'envoi des Anthony - Assure-t'en. Gustave attend pour t'écrire de pouvoir te dire comment il les a trouvées.
Ernest ne m'a pas parlé de la lettre que tu dis lui avoir écrite et renvoie, je crois, son voyage à Bordeaux à un peu plus tard. Il s'est entêté à ne pas vouloir louer son troupeau pour la fête d'Aire, mais je pense qu'il commence à le regretter - 500 f sont toujours bons à prendre, et les occasions de les gagner ne sont pas fréquentes par ici. L'affaire de Romain est annullée pour le moment: il parait qu'il n'a pas pu obtenir de passeports ni pour lui ni pour les écarteurs qu'il voulait emmener, par suite des évenements politiques. Est-ce la vérité, est-ce un prétexte ? je n'en sais rien. Nos amoureux paraissent être d'assez bonne intelligence; mais cependant leurs affaires ne me paraissent pas marcher rapidement à la conclusion. Les réparations de Labergalasse ont été suspendues quelques jours: les charpentiers ont fait départ - La digue du moulin de Lannux à Mr Laborde ayant été rompue, tous les ouvriers du pays ont été employés à la réparation qui était urgente, & Labergalasse en a souffert. Mais enfin tout a un terme, et quoique le jour ne puisse pas être fixé encore, j'espère bien que dans les premiers jours de Juin, nous assisterons à l'auguste cérémonie. S'il te tarde, cher enfant, crois bien que je serai, que nous serons, aussi bien heureux de t'embrasser.
Les travaux du chemin de fer sont poussés avec activité: la locomotive qui porte le ballast a dépassé le tournant de Cazères, et l'ont dit que le Dimanche 15 ct, le Préfet, sa femme, et son entourage doivent venir en wagon entendre la messe & déjeuner ici.
J'espère que notre pauvre Marcel aura été te voir, en passant à Bordeaux, dimanche. Il t'aura donné de nos nouvelles - Ducunq est venu et s'est acquitté de ta commission. Dis à Noëmi que Palmyre la remercie de ces échantillons, et qu'elle lui écrira quand elle sera décidée. Madame Latrille, sa mère, et sa belle-soeur qui est maitresse de pension à Bordeaux, partent demain pour y passer quelques jours. Tu les rencontreras probablement et il te fera peut être plaisir de voir des figures de connaissances. Maurice est tout à fait bien, quoique amaigri; il me charge de te rendre les baisers que tu lui as envoyés. Adieu, cher enfant, Amitiés à tous, et tendresses pour toi -

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